Il y a dix ans presque jour pour jour décédait François Mitterrand, quatrième des présidents de la 5ème République. Dix ans après cette disparition, difficile de dresser le bilan de l'action d'un homme qui aura incarné et épousé toutes les ambiguïtés et turpitudes de son siècle. Des sources de son engagement chez les Croix de Feu du Colonel de Laroque à la conquête du Parti Socialiste, de sa présence trouble auprès du régime de Vichy à son implication dans des réseaux giraudistes de résistance intérieure, de sa lutte acharnée contre la 5ème République à son ralliement à ce régime duquel il emploiera tous les leviers avec aisance, personne ne semble en mesure de cerner le personnage Mitterrand. Chacun de ceux qui l'ont côtoyé en détiennent sans doute une part de vérité. Mais jamais plus d'une fraction infime. Il ne savait que trop se préserver.
Aujourd'hui plus que jamais, François Mitterrand déchaîne les passions. Comble de l'ironie, celui qui déclarait que la première vertu d'un homme politique était l'indifférence est adoré ou détesté. Mais ne laisse personne indifférent. Même les instituts de sondage se disputent encore sur la place à lui accorder dans le coeur des Français. A cet égard ne confondons pas les sondages de l'instant avec la place dans l'histoire. Rien de comparable entre Mitterrand et De Gaulle. L'opposition du premier au second démarre à Alger quand le Général demande à Mitterrand d'aller se battre, histoire de laver la collaboration avec Vichy. Ce qu'il refusera. A compter de cette date, il n'avait plus le choix : n'ayant plus jamais rien à attendre de de Gaulle, il devait lui être opposé. Des 14 ans de Mitterrand, il restera la décentralisation et l'abolition de la peine de mort, ce qui n'est pas rien. Mais du niveau de Giscard avec le vote à 18 ans et la loi sur l'IVG. Ce n'est pas l'appel du 18 juin, la fondation d'une nouvelle République, la réconciliation avec l'Allemagne de la guerre, la décolonisation, le Québec Libre ou le discours de Phnom Penh sur la présence étrangère dans le sud est asiatique, et sur la fin la vision participative de la société. Ne pas mélanger un destin de légende, un mythe, une figure historique tels ceux de Napoléon ou de Jeanne d'Arc avec l'itinéraire exceptionnel d'un homme politique romanesque. Dont je doute qu'il ait voulu lui même une place dans l'histoire. Trop intelligent, trop lucide. Se prolonger oui évidemment. Dans les coeurs, les têtes, les débats bien entendu. Comme aujourd'hui après 10 ans. Plus tard, quand on cherchera encore à percer ce qu'il s'est attaché à semer toute sa vie : où était sa conviction ? Quand on citera un modèle de la sculpture de soi. Mais l'Histoire avec un grand "H" non. Il n'ignorait pas, lui, contrairement à ce que répètent ses thuriféraires, qu'être l'auteur de la première alternance d'une nouvelle République n'y suffirait pas. En mai 1991 quand il se sentait aller et me laissait sans voix, me répétant 3 fois « vous savez pour moi c'est fini » et que je faisais allusion au destin justement, il m'avait répondu avec malice : « Non je sais. Je ne suis pas un héros. D'ailleurs pour être un héros, il faut mourir à 20 ans sur un acte héroïque. De cela je ne me plains pas ».
Il retrouvait ce zeste de lucidité impudente et courageuse. Pensait-il à la rencontre de 1943 à Alger avec de Gaulle, dont on a dit qu'il voulait sauver l'honneur de Mitterrand en l'envoyant mourir au combat ? Qui sait ce qu'il avait en tête me répétant sa fin qui n'était pourtant pas si proche ? Que regretta son chauffeur avant sa mort ? De ne pas lui avoir accordé sa promenade en voiture dans Paris : il voulait simplement traverser les lieux, penser aux événements, aux plaisirs, aux visages aimés. Être là, lové au fond des sièges et regarder les lumières de Paris, les piétons de Paris. Le chauffeur le lui a refusé, renvoyant à plus tard, quand il serait moins fatigué. Il n'y eut plus de plus tard. Ce n'était probablement pas de mourir dont il souffrait, mais de ne plus vivre. Quelle force ! Quelle existence ! Mais au plan politique, ce que m'a rapporté Régis Debray me semble plus pertinent : « le chancelier Schmidt m'a dit que de Gaulle avait une politique supérieure aux moyens de la France et Mitterrand une politique inférieure à ses moyens ».
Je crains pour lui que l'implacable grille de l'histoire ne le mette à sa place qui n'est évidemment pas médiocre. Restera le fascinant personnage capable de conduire sa vie avec la plus haute idée de sa liberté et de son accomplissement personnel. De celui là, on n'a pas fini de parler.
Bonjour
Votre façon très simpliste de minimiser le rôle de Mitterrand ne m'étonne guère.
Au niveau international, vous oubliez son rôle dans la construction de l'Europe et surtout du rapprochement entre notre pays et l'Allemagne.
Au niveau social (un concept qui semble vous échappez) vous ne parlez pas de l'instauration de la 5ème semaine de congès payés, la mise en œuvre des 39 heures, la retraite à 60 ans, la prise en charge de l'IVG par la Sécurité sociale.
Ces mesures vous gênent peut-être ?
Vous avez une façon de réécrire l'histoire qui ne vous honore pas.
Cordialement
Rédigé par : Jerome Steffenino | 12 janvier 2006 à 11:09
Cher Monsieur,
Ce qui m’étonne moi , c’est votre méconnaissance de l’histoire pourtant récente.Même si je sais bien que les fautes auxquelles il faut le plus pardonner sont celles commises par ignorances. Mais être à ce point berné par la culture ambiante, la lecture des journaux est tout de même grave s’agissant de quelqu’un qui entend donner la leçon.
En effet sur le premier point , construction de l’Europe : depuis 1957 date du traité de Rome chaque président de la Veme République a apporté sa pierre à l’édifice. Mais la mise à niveau de la France en 1958 pour supprimer les droits de douanes a été ,selon moi compte tenu du retard pris par la IV eme République, (à laquelle Mitterrand s’est totalement associé en étant 11 fois Ministre) l’action la plus importante : toute l’Europe doutait que la France puisse satisfaire à ces nouveaux critères. Ensuite Pompidou avec l’entrée de la Grande Bretagne, puis Giscard avec le lancement de la monnaie unique, Mitterrand qui a fait accepter aux Français les critères libéraux de Mastricht ont apporté leur contribution.
La réconciliation Franco Allemande date du traité de paix Franco-Allemand de 1962 voulu par le chef de la guerre contre l’Allemagne , le général de Gaulle avec le chancelier Allemand Adenauer. C’est à cette date et par ce traité que furent créés les sommets franco allemand réguliers,le fameux axe franco-allemand, l’office franco allemand etc...Tous les présidents suivants se sont inscrits dans le cadre de ce traité. On a vu côte à côte Giscard et Schmidt, Mitterrand et Khôl, Chirac et Schroëder.
Sur le second point je n'arrive toujours pas à comprendre comment on peut se glorifier du passage de la retraite à 60 ans à une époque où les problèmes de démographie étaient déjà connus. Cette mesure pèse lourd dans la balance du déficit actuel des caisses de retraites. Plus visionnaires, à la même époque, les autres pays européens allongeaient l'âge de départ à la retraite... La mesure prise par Raffarin de laisser partir plus tôt ceux ayant déjà effectué toutes leurs années de cotisation est bien plus logique, et bien plus sociale également, puisqu'elle s'adresse en particulier aux métiers manuels et pénibles, que des personnes ont commencé à exercer dès 14, 15 ou 16 ans. Ce couperet de la même date de retraite pour tous est une mesure archaïque qui ne survivra pas à son auteur.
C’est pourquoi je maintiens qu’il restera de Mitterrand au moins la décentralisation et la peine de mort. Ce qui n’est évidemment pas rien.Mais demeure du niveau politique à la Giscard avec l’IVG et la majorité à 18 ans ,pas de l’homme d’État visionnaire .
Mais je comprends très bien que vous soyez dans l’ambiance du 10 eme anniversaire de sa mort avec tous les excès qui l’entoure , l’absence de hiérarchisation des faits qui caractérise entre autre notre époque. Je n’écrirai donc pas: “Vous avez une façon de réécrire l'histoire qui ne vous honore pas.” Car je n’aime pas blesser inutilement.
Pour terminer, concernant Mitterrand j’aime la formule de Gérard-Alain Slama : “il en reste, à coup sûr, quelqu’un. Mais on doute qu’il en restera quelque chose”.
bien à vous, cordialement,
Alain Carignon
Rédigé par : Alain Carignon | 12 janvier 2006 à 17:27
Pour ma part, je retiens également de Mitterrand son engagement dans la construction de l'Europe, ce cliché désormais historique de Mitterrand tenant la main de Kohl... Je retiens aussi l'Euro. Vous faites bien d'évoquer l'abrogation de la peine capitale et d'ajouter que ce n'est pas rien. N'oublions pas non plus que Mitterrand fut le porte-voix, à travers le monde, d'une France autrement plus digne de son héritage que celle d'aujourd'hui. Mitterrand fut à ce titre écouté, respecté et admiré par tout ce qui comptait dans le monde. Avec Mitterrand, les Français étaient fiers d'être français. Ce ne sont pas des Chirac ou des Sarkozy qui les y aident à présent, hélas.
Rédigé par : Alexandre Henik | 18 janvier 2006 à 14:52
D'accord avec vous sur bien des points sauf
- La construction Européenne à laquelle Mitterrand a apporté autant que
Pompidou avec l'entrée de la Grande Bretagne et Giscard avec la monnaie
unique .Mais pas plus.
- la réconciliation Franco Allemande qui date du traité Franco Allemand de
1962 signé entre De Gaulle et Adenauer sur lequel vit toujours la relation
Franco-Allemande
- Sur la voix de Mitterrand dans le monde : j'ai eu la chance de
l'accompagner dans certains voyages internationaux.C'est souvent un effet
d'optique national qui nous fait croire cela car il ne reste guère de traces
à l'extérieur.
- Votre appréciation des proposition de Nicolas Sarkozy pour demain: je suis
convaincu que la France a besoin d'une rupture profonde avec les politiques
engagées depuis des décennies et il a le courage de la proposer.
Bien amicalement,
Alain Carignon
Rédigé par : Alain Carignon | 18 janvier 2006 à 18:58
MONSIEUR CARIGNON,
votre jugement sur mittérrand et nuancé et assez juste cela étant vous savez concernant son passage à vichy d'autres y ont aussi été(couve de murville, pinay, coty...)et j'en oubli et il à aussi été résistant....
Concernant son bilan deux oubli en politique étrangère le discours de la knesset, du bundestag et il à sauvé 3 fois arafat même si les 4 dernières années ont marqué un certains déclin(bonie, rwanda...)....autre oubli la gauche à réussi après 83 à géré honorablement franc stable, fin de l'inflation.....
Rédigé par : thomas | 24 janvier 2006 à 19:13
je suis assez d'accord avec vous monsieur carignon ....Cela étant il me semble que le bilan de mittérrand en politique étrangère et positif au moins jusqu'en 91 après je trouve qu'il un certain déclin.....Pour la politique économique de mittérrand celui ci après 83(et deux années dépensières du fait il est vrai des mesures sociales comme la retraite à 60 ans, la cinquième semaines de congés payés) redredressera quand même la barre en stablisant le franc, baissant l'inflation et modernisant les entreprises....Je trouve que la situation économique de la france s'est de nouveau dégradé ces 13 dernières années de 92 à 2006 fin de présidence mittérrand et mandature de chirac....
Rédigé par : thomas | 25 janvier 2006 à 11:15